Mystère au Louvre (tome 1) - le travail de recherche

Ecrire à partir d'une époque qui nous est inconnue nécessite de faire attention à vérifier ses sources et faits historiques évoqués. Dans les intrigues de Perspectives, des notes en bas de page sont ajoutées avec des explications d'allusions à des événements réels par les personnages, mais également des annotations scientifiques. Mais aucune image d'archive n'y figure. Voici donc certaines archives réelles utilisées pour Mystère au Louvre :

« - Comme s’il n’y avait pas déjà assez de problèmes à Paris comme ça ! s’empressa de répondre Hélène, tout enjouée.
Elle réapparut à la porte de la cuisine, et se dirigea vers le salon.
- D’abord le braquage de la Société Générale*, puis le meurtre du gardien de la paix Garnier** hier, et maintenant un vol de tableau cette nuit. »

* Le 21 décembre 1911, une célèbre bande de criminels, la bande à Bonnot, a braqué un bureau de la banque de la Société Générale. Dans l’échange de tirs qui a suivi, un agent de service à la clientèle a été grièvement blessé. Le total du butin s’est élevé à 5000 francs.
** Le 27 février 1912, l’agent de police François Garnier, responsable de la circulation des voitures, se fait heurter volontairement par le véhicule d’un homme en délit de fuite et meurt sur le coup.


Voici les trois articles de journaux du Petit Parisien exploités pour en tirer des récents faits d'actualité au moment du déroulement du roman. La première coupure reprend le premier hold-up motorisé de l'histoire, le braquage de la succursale de la Société Générale par la bande à Bonnot. La deuxième évoque le meurtre de l'agent de police Garnier. Et la troisième présente la photographie de l'agent Garnier.

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


A propos du membre de la bande à Bonnot mis à l'honneur dans ce premier tome de Perspectives - Raymond Callemin, dit Raymond la Science :

« - Tu as sans doute raison, mais, quel est le rapport entre la science et la disparition de ton père ? se demandait Guillaume. 
Le visage d’Hélène s’affola : 
- La Science ! C’est le surnom de Raymond Callemin* ! »

*Raymond Callemin était un dangereux militant anarchiste, membre de la bande à Bonnot, plus connu sous le surnom de Raymond la Science. La bande à Bonnot était un gang anarchiste criminel français qui a opéré en France et en Belgique de 1911 à 1912.


Voici les archives retrouvées le concernant. Le premier document est la fiche de police du criminel avec les dates de ses plus gros méfaits ; on y retrouve certaines dates utilisées dans Mystère au Louvre. Le deuxième document est une coupure du Petit Parisien datant du lendemain de l'arrestation de Raymond Callemin.

Sources Wikipédia et gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Mais, pour utiliser un homme historique dans un roman, il n'est pas possible de réinventer entièrement le personnage. A partir du peu d'informations recueillies, une tentative de reconstitution a été réalisée. 
Sur Wikipédia ainsi que dans d'autres articles de presse de l'époque et autres sources, on apprend notamment qu'il était "le fils d'un cordonnier du nom de Narcisse Callemin". Ce prénom a d'ailleurs servi à la création du message codé de la dernière carte associé au tableau de Nicolas Poussin, Echo et Narcisse. De plus, contrairement à la plupart des jeunes de l'époque, "il a fait des études jusqu'à l'âge de 16 ans et a appris le métier de photographe", donc c'était un homme assez cultivé, ce qui correspond à l'allusion du "Génie" et de son triangle dans Mystère au Louvre. En effet, le personnage de Raymond Callemin a été reconstitué au détail près : "son surnom de Raymond la Science lui est donné en raison de son goût immodéré de la lecture" et, selon les journaux de l'époque, "Callemin ne cessait, dans les parlottes anarchistes, d'appuyer les moindres affirmations sur l'autorité de la science. Son sobriquet lui fut décerné par dérision par ses camarades". Callemin lui-même aurait dit : "On m'appelle ainsi parce que je connais pas mal de choses et que pour mes amis j'ai autant de science en mon cerveau que l'on peut en trouver dans les livres". Lors de son arrestation le 7 avril 1912, il s'est exclamé "Vous faites une bonne affaire ! Ma tête vaut cent mille francs, chacune des vôtres sept centimes et demi. Oui, c’est le prix exact d’une balle de browning !" Grâce à tout ça, on comprend sa personnalité assez hautaine et cultivée, et son rapport à la science qui était parfait pour le premier tome de la série.

« - Xénocrate, philosophe platoniste représentait la Divinité par le triangle équilatéral, l’humanité par le triangle scalène, et les Génies par le triangle isocèle. Le premier de ces triangles a tous ses côtés égaux ; le second les a tous inégaux ; le troisième les a en partie égaux, en partie inégaux : ce qui figure bien la nature des Génies, lesquels réunissent et les affections humaines, et la puissance divine.
Hélène et Guillaume se regardèrent, surpris :
- Ça alors ! Tout correspond !
- Nos deux voleurs ne se prennent pas pour n’importe qui, on dirait. Ils ont l’air de se considérer comme des génies, et cherchent alors sans doute à nous le faire comprendre.
- C’est exactement ça, ajouta Guillaume. C’est comme s’ils faisaient exprès de semer des indices à déchiffrer derrière eux.
- De cette manière, seuls d’autres "génies" pourraient les démasquer. Et ils doivent nous prendre pour cibles. »

Panique à l'Opéra (tome 2) - les sources d'inspiration

Voici certaines des sources utilisées pour les recherches utiles à l'écriture de Panique à l'Opéra. Une difficulté : le manque de ressources disponibles sur 1913 pertinentes pour le livre. En effet, pour l'année 1914, par exemple, il y a énormément d'informations disponibles, donc cela peut être compliqué de faire le tri, mais pour 1913, c'est l'inverse : il y a très peu d'informations, ce qui implique une composition à partir de petits éléments trouvés çà et là. C'est une des raisons pour laquelle le criminel, ou plutôt la criminelle de ce tome 2 n'a pas réellement existé. Malgré cela, un clin d'œil a été fait aux débuts de la montée en tension à Paris à propos de la Grande Guerre en évoquant l'espionnage allemand.

Pour Panique à l'Opéra, les recherches ont été moins denses, moins nombreuses et ce, grâce au cursus du lycée. Un séjour culturel scolaire à Paris en classe de seconde autour du thème du XIXème siècle a notamment permis la visite de l'Opéra, ou Palais Garnier. Alors pourquoi ne pas la partager avec les lecteurs ? La description de l'extérieur et de l'intérieur du magnifique bâtiment avec le plus de précisions possibles a été un point très important :

«
 L’immense Opéra de Paris, imposant avec ses colonnes de fonte et sa façade de pierre et de marbre, dominait la grande place. Les sculptures d’anges de son toit cuivré, rejointes par une frise de fonte vernie de doré lui donnaient un air majestueux. A gauche, la représentation de l’harmonie,  à droite, celle de la poésie. Les décorations dorées couronnaient le toit de l’Opéra*  tandis que le dôme central accueillait la statue de bronze d’Apollon, dieu de la musique et de la poésie. 
Après avoir difficilement gravi les immenses marches, Guillaume, Hélène et Jules pénétrèrent dans le hall. Impressionnés du luxe du bâtiment et de ses moulures, surplombés d’arcades et de coupoles, les adolescents entrèrent dans le monde de l’imaginaire, entourés de feuilles d’or, de velours, de chérubins et de déesses grecques. 
Dans ce monde, non pas uniquement pour voir les représentations mais pour être vues, des femmes vêtues de longues robes de soie et d’immenses chapeaux à plumes se pavanaient de tous côtés, près de leurs époux bien apprêtés, gravissant les marches du grand escalier de marbre blanc. La rambarde en marbre rouge et vert se divisait en deux ailes d’escalier illuminées par les lustres et statues, menant au Grand Foyer. Le tout était surplombé du luxueux plafond et de ses arches peintes, représentant le triomphe d’Apollon sur son char, Orphée charmant les animaux au son de sa lyre ainsi que Minerve, déesse de la pensée et de l’intelligence,  sous l’œil aiguisé des dieux de l’Olympe. La ville de Paris personnifiée recevait les plans de l’Opéra entre les mains. Deux immenses statues de cariatides**  en bronze et marbre encadraient la porte menant aux couloirs de la salle de spectacle : Tragédie et Comédie. 
Sous l’escalier, le bassin de la Pythie, oracle du temple d’Apollon de Delphes, apparaissait au travers d’un voile brumeux. 
Jules et Hélène aidèrent Guillaume à monter les marches. Porter un fauteuil à deux était bien moins compliqué que de le faire seul. 
En haut, le Grand vestibule. Quatre immenses sculptures de pierre attiraient les regards : Rameau, Lully, Gluck et Haendel étaient là, assis parmi les visiteurs. Les colonnes et leurs pilastres soutenaient le plafond sculpté. 
- Regardez, un message caché !  s’exclama Jules un peu plus loin, en pointant du doigt une rotonde blanche décorée d’arabesques au plafond : la rotonde des Abonnés. »  

*Ces statues de 7,50 m ont été fabriqués par électrotypie, c’est-à-dire par reproduction des gravures en relief à l'aide d'une couche de cuivre obtenue. Leur couleur dorée a été réalisée par galvanoplastie, un processus qui consiste à recouvrir un objet d’une fine couche de métal grâce à l’électrodéposition.
**Une cariatide est une statue de femme vêtue d'une longue tunique qui soutient souvent un plafond sur sa tête, remplaçant ainsi une colonne.

Quant au chapitre Leçon de chimie, il s'est basé sur une méthode de développement négatif entre autres utilisée dans un épisode de MacGyver 1985 :

« Dilué dans l’eau, le glycérol fabriqué à partir d’huile et de poudre d’oxyde de plomb portés à ébullition servirait à ramollir le papier une fois pulvérisé dessus, ce qui permettrait d’aplatir le document sur une feuille de papier aluminium, elle-même posée sur une plaque de verre. L’autre plaque serait déposée par-dessus et il ne resterait plus qu’à venir éclairer brièvement le document pour activer les propriétés fluorescentes de l’encre de la machine à écrire, puis à photographier le tout avec un appareil à filtre infrarouge. L’image capturée ensuite développée, les adolescents obtiendraient un négatif du document, révélant les mots disparus. » 


Le séjour à Paris n'a pas été la seule source d'inspiration de ce deuxième tome. Le festival 2019 du lycée, les Insolences d'Ernest sur le thème "Crime et art, 2000 ans de passion" y a beaucoup contribué également, particulièrement pour ce qui est de l'alliage entre l'art, l'histoire, la science et la criminologie dans ce roman et dans tous les autres.

Ce fut un atelier photographie XIXème siècle en cours de spécialité art au lycée avec le photographe Vincent Paulic qui a permis l'écriture d'autres passages clés de l'intrigue. Lors du développement de photos, de la réalisation de décors et de costumes type XIXème à partir de personnages fictifs de romans de cette époque, une atmosphère s'en est dégagée, atmosphère historique décrite dans Panique à l'Opéra, notamment par l'intégration de l'usage de la technique photographique utilisée lors de cet atelier au chapitre 5 du roman. Pour vérifier le protocole, un contact avec le photographe intervenant, la lecture de pages datant de 1917 dédiées à cette technique et d'autres recherches historiques sur les avancées scientifiques de l'époque ont été nécessaires.

Enfin, avant cet atelier, une visite au Musée d'Art et d'Histoire de Saint-Brieuc lors du cours d'art nous a permis de découvrir les plaques photographiques au collodion de Lucien Bailly, photographe breton des XIX-XXèmes siècles :

Exemples de photographies sur verre au collodion de Lucien Bailly.
Source Dat'Armor / Fonds Bailly du Musée d'Art et d'Histoire de Saint-Brieuc


Articles de presse à propos du festival Les Insolences d'Ernest, "crime et art" : Ouest France (26/02/2019) - 
Leurs invités disséqueront le crime avec art, Ouest France (15/03/2019) : Le crime au cœur d'une conférence au lycée Ernest Renan

Article de presse à propos de l'atelier photographie XIXème : 
Le Télégramme (12/02/2019) - Des portraits à la mode du XIXème siècle

Disparitions à la tour Eiffel (tome 3) - comprendre l'Histoire pour raconter

Le troisième tome de la série Perspectives, Disparitions à la tour Eiffel est le fruit d'un nombre conséquent de recherches sur la montée en tensions à Paris et l'approche de la Grande Guerre. Comme dans les enquêtes précédentes, de nombreuses allusions à des faits réels s'étant déroulés à la même époque sont faites afin de permettre au lecteur de se plonger dans une période historique de façon plus réaliste.

Ainsi, ce livre commence d'emblée par le récit adapté d'un événement spectaculaire : la terrible tempête du 15 juin 1914.

« Alors que les quinze heures approchaient, le ciel déjà très épaissi par les massives couches de nuages se noircit en une vitesse impressionnante. Un lourd bruit de tonnerre gronda et bientôt, un rideau de pluie se déversa de l’imposant cumulonimbus  qui grossissait au-dessus de leur tête à vue d’œil.
- Je pense qu’il est temps de rentrer, dit Jules en relevant sa veste pour la mettre en visière.
Les trombes d’eau étaient telles que les passants avaient du mal à voir plus loin que trois mètres devant eux.
Hélène avait envie de rester sous l’eau ; au lieu de fermer son manteau, elle le retira et le tint au-dessus de la tête de Guillaume pour lui permettre d’avancer sans avoir à plisser les yeux. Celui-ci peinait à avancer à cause de l’épais ruissellement qui coinçait et faisait glisser les roues de son fauteuil.
Les amis, qui s’étaient bien éloignés du commissariat au cours de l’après-midi, se rendirent vite compte qu’ils mettraient plus de temps que prévu à rentrer. Leur promenade de quarante-cinq minutes vers Saint-Philippe du Roule se transformait peu à peu en véritable épopée diluvienne.
Soudain, des grêlons prirent le relai de l’eau du déluge. A ce moment-là, Hélène regretta son manteau ; elle se mit à grelotter.
- Remets ta veste, andouille ! éclata de rire Guillaume en réalisant qu’elle était responsable du peu d’eau qu’il recevait sur la tête.
La jeune fille ne se le fit pas dire deux fois.
Dans la rue, tous les passants cherchaient à se mettre à l’abri. Les mères qui tenaient leurs enfants par la main les prirent dans leurs bras et se précipitèrent vers les cafés et magasins les plus proches pour s’y réfugier. Tous redoutaient une nouvelle crue telle que celle d’il y a quatre ans*.
A la grande surprise d’Hélène, face à l’ampleur que prenaient les écoulements d’eau, Guillaume s’arrêta et lui demanda de l’aide car son fauteuil restait bloqué. Mais même en étant poussé, il ne pouvait avancer que très lentement tant l’eau était abondante.
Au bout de deux heures et demie de marche dans l’eau, l’averse orageuse qui ralentissait leur traversée ne s’était pas calmée. Dans vingt bonnes minutes ils arriveraient au commissariat.
Mais tout-à-coup, après une courte accalmie qui leur avait permis de décrisper leurs épaules, un violent éclair zébra le ciel et illumina la rue tout entière. Moebius, surpris, aboya. La tempête reprit alors de plus belle et un vent puissant se mit à balayer brutalement la grêle. Hélène faillit tomber et Jules évita de justesse de se prendre un poteau.
A ce moment-même, alors que l’eau devait s’être accumulée sur près de cinq centimètres au sol, une série d’explosions de canalisations retentit et des coulées de boue envahirent le peu de sol qui n’était pas encore inondé.
Une vague de panique s’empara des passants : tous ceux qui n’avaient pas encore trouvé d’abri se mirent à courir dans tous les sens à la recherche de n’importe quel café ou restaurant. Très vite, ceux-ci furent bondés.
Guillaume, Hélène, Jules et Moebius avançaient du plus vite qu’ils le pouvaient pour rejoindre le commissariat, mais cela ne suffisait pas. Jules proposa à Guillaume de monter sur son dos pour tenter d’avancer plus vite. Etonnamment, le jeune homme accepta. Hélène se chargea de porter le fauteuil et Moebius les suivait, trempé jusqu’aux os.
Soudain, au travers d’un rideau opaque de pluie et de grêle, ils entendirent un épouvantable grondement suivi des cris d’une foule. Quelques curieux à l’abri se précipitèrent aux fenêtres avant de les refermer presque aussitôt.
- Le métropolitain s’est effondré ! Eboulements ! Eboulements !
Les adolescents eurent une montée d’adrénaline. Vite ! Ils devaient rejoindre le commissariat. Heureusement, ils ne tardèrent pas à apercevoir la lumière vacillante du bâtiment quelques mètres plus loin.
Au moment où Jules se jeta sur la porte avec Guillaume sur le dos, un second effondrement se fit entendre au loin, mêlé aux cris d’épouvante de la foule. Lorsque les adolescents et Moebius furent enfin à l’intérieur, ils constatèrent que le commissariat était rempli d’autres rescapés de la tempête, ruisselants et tous serrés les uns contre les autres.
Le commissaire Marc, inquiet de ne pas avoir eu de nouvelles des amis depuis leur sortie, se précipita vers eux dès leur arrivée. Après s’être assuré de leur état, il aida Guillaume à descendre du dos de Jules pour qu’il se remette dans son fauteuil.
Jusqu’à dix-neuf heures ce soir-là, tout le monde resta blotti à l’intérieur. Craignant une nouvelle explosion de gaz ou des récidives de foudre, on échangea l’électricité contre des bougies, et l’on se résolut à ne pas allumer les lampes à acétylène**.
- Quelle ambiance ! On se croirait dans un monastère... dit une voix.
Des nouvelles des quartiers voisins arrivèrent des derniers courageux qui réussirent à se frayer un chemin jusqu’à l’entrée du commissariat. A leur arrivée, on se tassa plus qu’on ne l’était déjà.
Tout le monde apprit alors qu’à Saint-Philippe du Roule, deux autres effondrements de lignes de métro en travaux rompirent la conduite de gaz, entraînant la lancée d’une gigantesque flamme et une projection de sable et de boue. Depuis, un sifflement d’air comprimé sordide se diffusait dans tous les environs.
- Quel temps de chien, hein Moebius ? dit Jules, dont les cheveux blonds dégoulinaient sur son visage, en enlaçant son chien.
Les derniers réfugiés arrivèrent couverts de boue, les pieds dans l’eau.
- C’est effroyable ! Il y a encore plein de personnes bloquées là-dessous, sous les éboulements du métro !
- On a bien été plusieurs à essayer de les tirer de là, mais il reste encore quelques malheureux sous les décombres !
Tous ceux qui étaient dans la pièce furent effarés par la nouvelle. Un homme s’évanouit même, pressant les autres gens entassés autour de lui à essayer de le réanimer.

*En 1910, la Seine est montée en crue, c’est-à-dire qu’elle débordait tellement que Paris s’est retrouvé inondé. Cette inondation a provoqué des épidémies à cause des égouts et des tonnes de déchets noyés. L’eau était tellement polluée que les rats qui fuyaient ont amené d’autres maladies comme la scarlatine et la typhoïde. Comme on ne peut plus circuler autrement que sur l’eau, des barques taxis se mettent en place et même des boulangeries décident de livrer le pain en bateau.
**Les lampes à acétylène étaient des lampes que l’on portait avec une anse. A l’intérieur, on l’allumait grâce au gaz qui s’appelle l’acétylène.

Mardi 16 juin 1914

Le lendemain matin, alors que la tempête s’était calmée et avait cessé durant la nuit, les rues de Paris étaient dans un état tel que personne ne pouvait circuler sans passer devant un tas de ruines ou de décombres. Tout cela avait passé l’envie des adolescents de comprendre le mystère de la feuille blanche au message.
Toute la nuit, les pompiers avaient été principalement occupés à tenter de retrouver les quelques survivants ensevelis sous l’effondrement de la ligne huit du métro, et ne s’étaient pas arrêtés jusqu’à présent. Pendant ce temps, bon nombre d’habitants ramassaient les débris des explosions et évacuaient par raclées l’eau boueuse qui s’était infiltrée chez eux, inondant leurs caves et rez-de-chaussée.
Malgré les efforts de tous, le journal du lendemain n’avait pas de bonne nouvelle à annoncer.

Mercredi 17 juin 1914

- Le Petit Parisien pour cinq centimes ! clamait le jeune vendeur de journaux, avec de l’eau jusqu’aux chevilles. De tristes nouvelles à la suite de la tempête !
Guillaume, Hélène, Jules et Moebius, qui avaient passé la nuit au commissariat à la demande de l’oncle Marc, sortirent acheter la revue au garçon.
« Six cadavres ont été remontés des gouffres. On craint qu’il n’y en ait six autres », annonçait le gros titre, au-dessus de photographies des dégâts. « Nous avons dit hier à quelles difficultés s’étaient heurtés dans la soirée la veille les sauveteurs qui travaillaient avec acharnement sur cette tragique place Saint-Philippe de Roule, à la lueur blafarde des projecteurs. Plusieurs heures de fouilles n’ayant donné aucun résultat, on commençait à espérer qu’il n’y avait pas de victimes, lorsqu’un coup de pelle amenait, à une heure du matin, la découverte d’un cadavre, celui d’un homme assez bien vêtu, dont la tête était à demi écrasée par une pierre. »
- Quelle horreur ! s’écria Hélène.
- Tous ces pauvres gens, surpris par la tempête…
- Estimons-nous heureux de nous être éloignés du quartier juste avant que l’effondrement ne se produise.
- Espérons qu’ils ne retrouvent pas d’enfants ensevelis, soupira Guillaume.
- Je n’ai même pas envie d’en savoir davantage, dit Hélène en se promettant, tout comme ses amis, d’attendre plusieurs jours avant de racheter un journal.
Plus le temps passait, plus de nouvelles victimes étaient découvertes*, si bien qu’au bout de quatre jours, on parlait encore de la tempête et de ses douze victimes dans les gros titres des journaux. Les noms des disparus étaient connus de tous dans la capitale. »

*Le 16 juin, lendemain de la tempête, 6 cadavres ont été retrouvés sous les décombres du métro effondré. Le 17 juin, 3 autres dont deux enfants et le 18 juin, 1 a été remonté et 2 autres sont restés bloqués. Au total, 12 personnes ont été malheureusement tuées lors du violent et tristement célèbre orage du 15 juin 1914.

Voici les coupures de journaux de l'époque relatant les faits repris dans Disparitions à la tour Eiffel :

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Quant au cyanotype, c'était une technique très répandue à l'époque, qui retrouve peu à peu sa popularité aujourd'hui. Elle consiste à imprimer une image sur du papier ou du tissu grâce à la réaction chimique entre le citrate d'ammonium ferrique et le ferricyanure de potassium dont le support est imbibé. Les rayons ultraviolets du soleil permettent alors le développement du cyan (couleur bleue) autour du motif posé sur le support comme un pochoir. On obtient alors un motif blanc sur fond bleu.

« - Mardi, vers midi, un cyanotype sur tissu représentant une œuvre exposée au Louvre a été retrouvé par terre à l’un des pieds de la tour Eiffel. A l’arrière, un message est écrit. Puisque j’ai cru comprendre que vous étiez des spécialistes de mythologie, débrouillez-vous pour me le décoder.
- Un cyanotype ? s’étonna Hélène en feuilletant le dossier.
- De la mythologie ? ajouta Guillaume. »
 


A ces recherches s'ajoutent celles non négligeables sur l'assassinat de Jean Jaurès le 31 juillet 1914. Survenu peu après l'attentat de Sarajevo le 28 juin 1914, il est fréquemment considéré comme élément déclencheur de la montée vers la première Guerre Mondiale en France. La population française voyait à l'époque en Jaurès le seul espoir de paix et d'évitement de la guerre. Voici la une du journal du lendemain de sa mort, le 1er août :

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Dans le récit de Disparitions à la tour Eiffel, bien qu'il fallût créer certains éléments pour l'histoire, la plupart des événements et anecdotes liés à a soirée de l'assassinat de Jaurès sont vrais. 

« Que le criminel surgisse à vingt-et-une heures quarante ou quarante-huit, ils devaient se rendre au café du Croissant* maintenant !
Tout le monde se mobilisa et se précipita dehors pour monter dans l’automobile noire de police. Il était vingt-et-une heures vingt. Plus que vingt minutes avant que le compte à rebours ne se lance. Plus que vingt minutes pour arriver à la rue Montmartre et empêcher l’assassinat.
A vingt-et-une heures trente-neuf, ils arrivèrent et sortirent de la voiture en vitesse. Il fallait repérer le meurtrier. La terrasse et la salle principale étaient bondées. Au sein de cette ambiance alourdie par la fumée de tabac, Jules vit soudainement au loin l’homme s’approcher discrètement d’une fenêtre ouverte.
Il hurla de toutes ses forces :
- Tout le monde à terr… !
Mais, avant même qu’il n’eut le temps de finir sa phrase, à la quarantième minute, le criminel tira violemment le rideau derrière lequel se trouvait la banquette où soupait Jean Jaurès et ses collaborateurs et, levant son poing armé, tira deux fois. Le canon de l’arme trembla à peine. Une balle vint se loger dans une poutre en bois, l’autre sur Monsieur Jaurès, qui tomba, face contre table, au milieu des cris des clients qui tentaient de s’échapper de là en courant.
Guillaume, Hélène et Jules restèrent prostrés là, incapables de réagir. Ils venaient d’assister au meurtre qu’ils avaient tenté d’éviter de toutes leurs forces durant de nombreuses semaines. Prise d’un sentiment mêlé de remords, d’échec et d’horreur, Hélène ne put retenir ses larmes. Elle se jeta dans les bras de ses amis, qui étaient tout aussi choqués qu’elle.
Une minute atroce d’indescriptible stupeur envahit tout le café. Etait-ce bien réel ? Tandis que le lieutenant Fournier poursuivit à une vitesse impressionnante l’assassin qui tentait de s’enfuir à grands pas vers la rue Réaumur, on transporta la victime sur une table pour tenter de la soigner. Mais il était trop tard.
- Il est mort, dit un homme en recouvrant le corps avec le côté de la nape.
Comme paralysés, le brouhaha de panique de la foule devint un bruit flou pour les adolescents. C’était comme s’ils entendaient, mais ne comprenaient pas. Pourtant, ils savaient. Ils savaient que c’était fini, que tous ces messages n’étaient qu’un moyen de rendre la fin plus « sale ».
Fournier s’arrêta de courir lorsqu’il vit Monsieur Tissier, metteur en page de l’Humanité**, assommer à coup de canne le fugitif. Il se précipita alors sur lui pour l’immobiliser au sol.
- Ne me serrez pas si fort ! cria-t-il. Je ne veux pas m’enfuir. Prenez plutôt le revolver qui est dans ma poche gauche. Il n’est pas chargé***.
- Bien sûr, et tu t’imagines que je vais te croire ? ragea l’officier, hors de lui, en l’empoignant brutalement. Ton nom ! ordonna-t-il.
- Raoul.
- Raoul qui ?
- Raoul Villain****.
Comme une traînée de poudre, l’affreuse nouvelle se répandit sur les boulevards. Devant l’Humanité, le journal où travaillait Jaurès, la foule devint telle qu’il fallut faire appel à la garde à cheval pour déblayer la chaussée et empêcher les curieux affolés d’envahir le café.
Quelques minutes après que le commandant Lejuste a prévenu le juge d’instruction Lerioux, le procureur de la République Riebard ainsi que de nombreux autres hauts responsables, ces derniers arrivèrent pour de rapides constatations. Puis, une voiture des ambulances urbaines vint chercher le corps du défunt Monsieur Jaurès pour le transporter à son domicile.
En cette triste soirée d’été, tout le monde comprit que rien ne serait plus pareil. De sombres nuages envahirent leurs esprits ; c’était le début d’un long combat.»

* Voici une photographie du café du Croissant :

Source Wikipédia

**L’Humanité était un journal dirigé par le dirigeant socialiste Jean Jaurès et créé en 1904.
***C’est la phrase réellement prononcée par Raoul Villain, l’assassin de Jean Jaurès, lorsqu’il fut conduit au poste de police. Voilà la vraie fiche de police de Raoul Villain, réalisée à la suite de l'assassinat de Jaurès, à-côté de sa photographie :
Source Wikipédia

****Raoul Villain était un étudiant nationaliste qui faisait partie d’un mouvement politique appelé la « Ligue des jeunes amis de l’Alsace-Lorraine ». Fils d’un père greffier au tribunal de Reims et d’une mère atteinte d’aliénation mentale tout comme sa grand-mère, c’était un homme de 29 ans au moment des faits, que tout le monde considérait comme doux et sérieux durant ses années de lycée mais qui est devenu instable en grandissant. En juin 1914, après avoir voyagé en Grèce l’année précédente, il s’inscrit à l’Ecole du Louvre pour y étudier l’archéologie. En réalité, il avait prémédité l’assassinat de Jean Jaurès seulement depuis le début du mois de juillet 1914, a acheté son revolver, s’est exercé au tir et a traqué sa cible en griffonnant des notes incohérentes dans son portefeuille sur ses habitudes, afin de mieux pouvoir le surprendre. Il a prétendu vouloir assassiner Jaurès pour « supprimer un ennemi de son pays ».


Si les deux précédents tomes de Enquêtes à Paris se sont bien terminés, ce tome 3 prend une tournure un peu plus réaliste compte tenu de la sombre période historique à laquelle Paris se prépare en 1914. Afin de mettre en contexte les événements qui ont suivi, la fin du livre comporte une note historique :

« Le 2 août 1914, lendemain de l’ordre de mobilisation générale, 3 millions de réservistes rejoignirent les 800 000 soldats en service actif et se firent remettre leur tenue de soldat. Seul 1% des hommes mobilisés ne répondirent pas à l’appel, par crainte de combattre ou par objection de conscience à faire la guerre. Ils furent punis, voire emprisonnés ou condamnés pour leur choix. D’autres hommes eurent une dérogation pour échapper à la mobilisation. Parmi eux figuraient certains policiers, médecins, chefs d’entreprises, dont la présence dans les villes et hôpitaux était indispensable, ainsi que toutes les personnes jugées inaptes au combat.
Le 3 du mois, une heure avant la déclaration officielle de guerre à la France par l’Allemagne, un avion allemand survola la ville de Lunéville en Lorraine et largua 6 bombes. Ce fut le premier bombardement aérien de la Grande Guerre de 1914-1918. Le 4 août, ce fut à l’Angleterre de déclarer la guerre à son tour, annonçant le début d’une longue période sombre de l’Histoire. »